
Nafsi moutmainn - Bienfait ou épreuve ?
Quatrième degré du nafs, Nafsi moutmainn représente l’idéal vers lequel tendent tous les hommes de foi. Considéré comme l’état d’âme propre au Paradis, il incarne un nafs pacifié, parvenu à une forme d’équilibre intérieur après avoir affronté ses propres tumultes, avançant avec constance sur le chemin de la Présence divine.
Ce degré de l’âme est dit Moutmainn, car il se trouve comblé par la grâce divine, tant sur le plan spirituel que dans les réalités terrestres (dounya). Il s’agit d’une période d’apaisement et de félicité spirituelle, parfois prolongée sur plusieurs années.
Toute âme, quelle que soit sa tradition religieuse, dès lors qu’elle chemine sous la guidance d’un maître spirituel accompli, peut atteindre cet état. Pour certains courants mystiques, Moutmainn peut même être perçu comme un éveil en Dieu. Toutefois, il ne faut pas se méprendre : Nafsi moutmainn n’est en réalité que l’entrée en éveil, l’aube de la Réalisation. Il ne constitue que les premiers pas vers la dissolution de l’Absolu (Fana Fillah). C’est un Fana Fillah encore instable, inachevé, et susceptible d’égarer le pèlerin spirituel s’il le prend pour un aboutissement.
Les Manifestations de Nafsi moutmainn pour le Cheminant
Dans la perspective islamique, Nafsi moutmainn se manifeste par plusieurs signes :
-
La connaissance du Prophète, qui commence à se révéler au cheminant sous forme de songes et de visions. Dans un premier temps, son visage peut être dissimulé, n’apparaissant que progressivement au fil du cheminement spirituel, jusqu’à atteindre l’état ultime de contemplation éveillée (Fana Fi Rassoul).
-
Le compagnonnage avec Nour Muhammad, dont la contemplation devient une constance et une source d’inspiration intérieure.
-
Une aisance remarquable dans la pratique du culte, accompagnée d’un amour intense pour l’adoration, qui peut parfois se transformer en une forme d’extase ou d’attachement excessif, constituant ainsi un voile empêchant d’accéder à une compréhension plus profonde de la Réalité.
-
Les prémices de la contemplation de l’Essence divine, bien que fragmentaires. Cette vision partielle peut amener l’aspirant à croire, à tort, qu’il est arrivé au terme de son cheminement. Or, la contemplation ne saurait se substituer à la connaissance véritable, car elle demeure encore diffuse et imparfaite. Voir ne signifie pas encore savoir.
-
Une satisfaction de Dieu encore incomplète, car Moutmainn ne perçoit pas la plénitude de la soumission totale. Il est incapable d’endurer de nombreuses épreuves et demeure dans la nécessité d’être comblé, tant spirituellement que matériellement, pour maintenir son équilibre. Aspirant à la perfection, il cherche, de ce fait, à atteindre une harmonie absolue entre sa quête spirituelle et sa vie mondaine.
-
L’ouverture à des expériences spirituelles profondes, parfois accompagnées de dons particuliers, tels que la perception des réalités subtiles, des facultés de guérison ou la communication avec d’autres âmes. Cependant, ces capacités peuvent se révéler être des obstacles majeurs sur la Voie, détournant l’aspirant de la connaissance pure de Dieu.
-
Un développement intense de l’imaginal, où la perception intérieure s’affine au point de produire des visions puissantes. Toutefois, cette faculté, si elle n’est pas maîtrisée, peut mener à des illusions et induire le cheminant en erreur.
-
Une inclination naturelle à rechercher la stabilité spirituelle, ce qui conduit Moutmainn à éviter toute réalité susceptible d’ébranler son équilibre intérieur.
Le Risque de Stagnation et l’Appel vers Nafsi Radiyye
Certains demeurent dans le jardin de Moutmainn, y étant maintenus par décret divin sans qu’il leur soit demandé d’accéder à un degré supérieur. En ce cas, cet état leur est favorable et louable.
Cependant, pour de nombreux aspirants, vient un moment où il leur est demandé de progresser au-delà de cet état de paix relative. C’est l’appel vers Nafsi radiyye (l’âme satisfaite), un passage qui ne s’opère qu’à travers des épreuves éprouvantes.
Manquer cette transition ou faillir face aux épreuves peut entraîner une chute vertigineuse. Le cheminant peut alors être expulsé de l’état de Moutmainn, se retrouvant à errer dans des degrés inférieurs du nafs, balloté entre frustration et tristesse. Or, Moutmainn n’est pas une station de souffrance : toute incapacité à surmonter une épreuve mène inévitablement à une régression.
Dans une telle situation, il devra de nouveau lutter pour regagner la vision des fragments de l’Essence divine et retrouver la lumière du Prophète en son cœur. C’est pourquoi il est impératif pour l’aspirant d’être accompagné par un maître accompli. Car, seul, le périple devient périlleux.
Les Dangers de l’Illusion et le Temps d’Assimilation
L’une des erreurs les plus graves qu’un aspirant dans cet état puisse commettre est de se croire parvenu et de prétendre guider les autres alors qu’il n’a pas encore achevé son propre cheminement. Prendre la place d’un maître avant d’avoir pleinement réalisé la Vérité risque d’égarer non seulement lui-même, mais aussi ceux qui se fieraient à sa guidance.
Assimiler, maîtriser et comprendre véritablement Nafsi moutmainn peut demander une décennie entière, tant cette station demeure intérieurement insatisfaite. Or, toute âme qui n’a pas atteint la pleine satisfaction met du temps à rejoindre véritablement Son Seigneur.
L’Atout Majeur de Nafsi Moutmainn
Toutefois, si Nafsi moutmainn n’est pas un aboutissement, il n’en reste pas moins un tremplin décisif pour qui sait en tirer les enseignements. Il confère au voyageur spirituel des armes précieuses, des outils qui lui seront indispensables dans les épreuves à venir.
La plus importante d’entre elles demeure l’ancrage intérieur à la Shahada, la certitude absolue en l’Unicité divine, flambeau qui guidera le cheminant dans sa quête de l’Absolu.