Human after all
Le problème que nous rencontrons dans les ouvrages soufis, c'est que la barre est placée très haute notamment lorsqu'il s'agit de maqams du nafs, ou bien de l'éveil spirituel.
Les ouvrages tendent à idéaliser l'aspirant qui a atteint l'éveil spirituel, ou bien le degré de Fana Fillah (appelé à tort annihilation en Dieu). On a l'impression que l'être éveillé qui a atteint la sainteté, est exempt de défauts, et qu'il est parfait.
Prenez n'importe quel ouvrage, lorsqu'il s'agit de décrire un nafs supérieur à mulhime, comme moutmainn, radiyye ou bien marziyye, le détenteur de ce degré est décrit d'une telle manière que nous pouvons penser qu'il a atteint la perfection humaine sur tous les plans.
Il est important de préciser que quel que soit le degré atteint, nous resterons des humains. Qui dit humain, dit tout sauf la perfection.
Oui, l'être qui a atteint Nafsi marziyye par exemple, est doté d'un esprit puissant capable de contempler certains attributs divins ou bien des fragments de Son essence. Il est vrai que cet homme sait mieux gérer son ego. Mais savoir mieux gérer son nafs, ne veut nullement dire être débarrassé du nafs.
Celui qui est avancé dans la quête de son trésor intérieur, connaît effectivement mieux son ego (nafs), son esprit lui donne les armes nécessaires pour contrer les tendances négatives de son mental. Mais une fois de plus, ce n'est pas parce que nous avons toutes les armes en mains, et la faculté de mieux nous connaître que le combat est terminé. Cette vie est une vie de lutte selon le livre saint coranique, et le nafs ne déposera pas les armes jusqu'à la mort. A n'importe quel moment, le saint peut chuter de son degré, c'est pourquoi il est sur le qui-vive. En réalité, durant tout le cheminement soufi, l'aspirant (quel que soit son degré d'éveil) tombe pour mieux se relever. Il est confronté à des hauts et des bas jusqu'à son dernier souffle. Maître ou pas, personne n'est préservée de la chute à un maqam du nafs inférieur. Il faut même voir les chutes, comme un rappel à l'ordre du divin pour nous montrer que Lui seul est parfait.
Pensez-vous vraiment que les grands maîtres soufis n'ont jamais eu leur moment de doute ? Eux aussi vivent des nuits noires de l'âme par période. C'est juste qu'ils ne le montrent pas pour ne pas affoler leurs disciples.
Ils disent que le Fana Fillah est l'annihilation totale en Dieu. Le nafs ne s'annihilera jamais totalement dans la durée, nous avons besoin de cette âme pour vivre. Son annihilation signifierait la mort de notre être physique. Par annihilation, il faut seulement entendre des instants de contemplation extrême, où pendant un certain temps la proximité divine est telle que notre mental n'est plus distrait par quelconque autre pensée que la Sienne.
Même les prophètes n'étaient pas parfaits. Alors que dire des maîtres soufis qui ne pourront jamais atteindre le degré spirituel des messagers et envoyés de Dieu.
Les prophètes ont connu la peur
Sourate 28
18. Le lendemain matin, Moïse se trouva en ville, craintif et regardant autour de lui...
21. Moïse sortit de là, craintif, regardant autour de lui. Il dit: « Seigneur, sauve-moi de [ce] peuple injuste ! »
Les prophètes ont connu la tristesse
Sourate 26
3 (Dieu s'adressant à Muhammad) Il se peut que tu te consumes de chagrin parce qu'ils ne sont pas croyants !
Les prophètes ont douté
Sourate 93
3 (Dieu s'adressant à Muhammad) Ton Seigneur ne t'a ni abandonné, ni détesté.
Et des exemples, comme ces versets cités, il en existe des multiples. Nous pouvons penser au doute qu'Abraham éprouva quant à la manière dont Dieu allait réciter les morts (cf. épisode de l'oiseau), à la colère de Moïse lorsqu'il brisa les tables de la loi (cf. épisode du veau d'or), ou encore à l'impatience de Jonas quand il abandonna son peuple (cf. épisode de la baleine).
...Alors que dire de nous ?